Rapport : La Turquie et la diplomatie des drones

Un rapport de l’Observatoire des drones se penche sur les ambitions de domination de la Turquie à travers le développement de cette industrie de guerre et s’interroge sur ses risques pour la stabilité régionale.
Un rapport publié par l’Observatoire des drones examine le développement de l’industrie turque des UAV et l’expansion de son marché au Moyen-Orient et dans les régions avoisinantes. Le leadership de la Turquie sur le marché des drones ressort des ambitions de domination régionale d’Ankara, posant des risques pour la stabilité politique de la région régionale, car les drones permettent de nouveaux types de conflits.

La Turquie a plus que décuplé sa production de drones au cours de la dernière décennie, ce qui en fait le premier vendeur mondial de ce type d’armes. Ces efforts de développement et de production de drones sont indissociables de la stratégie politique de la Turquie, qui vise à devenir une puissance dominante au Moyen-Orient et à étendre sa sphère d’influence en dehors de la région. Grâce à une combinaison de moyens diplomatiques, commerciaux et politiques, la Turquie a pu vendre ses drones à des États et des armées d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient et de dizaines d’États africains. Depuis 2020, la Turquie domine de fait le marché des drones.

Dans la section sur le “contexte stratégique turc”, le rapport relève qu’après 2016, la Turquie “a fait le choix d’adopter une posture ouvertement plus agressive au sein de son environnement immédiat, ainsi qu’à l’endroit de ses partenaires internationaux”. Et de citer les interventions de la Turquie “au Moyen-Orient (contre les Kurdes syriens), en Afrique du Nord et sur les enjeux énergétiques en Méditerranée orientale (en opposition au maréchal Haftar en Libye), ou dans le Caucase (par son soutien à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie)”. Comme l’explique le rapport, la position de la Turquie est en rapport avec son ambition de devenir une puissance dominante dans la région. Dans ce contexte, les dépenses militaires de la Turquie ont augmenté au cours de la dernière décennie.

Les auteurs indiquent clairement que la Turquie a aidé l’industrie des drones à pénétrer le marché des États étrangers. “En jouant autant de son soft power que de son hard power, elle permet à des délégations d’entrepreneurs turcs, tant civils que défense, d’exploiter ce levier exogène pour conquérir de nouvelles parts de marché.” Le rapport souligne à cet égard que la Turquie a signé des accords de coopération militaire avec 30 États africains depuis 2017.

L’industrie turque des drones est dirigée par deux grandes entreprises, la société privée Baykar et l’entreprise publique TAI (Turkish Aerospace Industry), qui sont en forte concurrence l’une avec l’autres. “L’influence exercée par chacune des sociétés sur la présidence est cruciale et joue nettement aujourd’hui en faveur de Baykar”, indique le rapport. Ce qui peut s’expliquer par la relation familiale entre le PDG de Baykar, Selçuk Bayraktar, et le président Recep Tayyip Erdoğan, le premier étant le gendre du second. Le rapport note en outre que “le budget de défense turc a bondi de 150 % en 2024 pour atteindre 40,5 milliards de dollars”, un signe clair de l’investissement frénétique d’Ankara dans l’industrie de la guerre.

Le rapport cite le TB2 de Baykar et l’Anka-S de TAI comme étant les drones les plus exportés. Le total cumulé des drones turcs exportés dépasse les 400, avec des exportations vers l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie, ainsi que vers l ‘Europe de l’Est, la Turquie ayant notamment exporté des dizaines de drones vers l’Ukraine en 2022. “Fait notable, décision a été prise dans un accord signé en février 2022 de construire un site de production de Baykar sur le sol ukrainien, l’idée étant d’acheminer le plus rapidement possible les drones produits sur le front”, indique l’Observatoire.

D’autres observatoires, comme Drone Wars, ont récemment attiré l’attention sur l’expansion notable du marché des drones turcs dans le monde, et particulièrement sur le continent africain. La prolifération des drones armés est à l’origine de nombreuses morts civiles dans les pays africains, où les conflits se développent et prennent de nouvelles formes avec la technologie des drones. Par ailleurs, la Turquie fait un usage intensif de cette arme au Sud-Kurdistan (nord de l’Irak) et au Rojava (nord de la Syrie) pour mener des attaques ciblées contre des personnes accusées d’être en lien avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). “La prolifération et l’utilisation croissantes des drones armés sont largement ignorées”, note Drone Wars, “comme toujours, ce sont les civils qui en paient le prix”.

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