LÉGENDAIRE CHARLES AZNAVOUR :

Par Appo Jabarian

Éditeur en chef/ Directeur de la Publication

USA ARMENIAN LIFE MAGAZINE

Charles Aznavour, universellement adulé, patriarche de la chanson française acclamé dans le monde entier, étoile arméno-française du spectacle et héros — mon héros, nous a quitté il y a quelques jours.
C’est une perte incommensurable pour moi, pour les nombreux fans et amis du légendaire Aznavour, mais en même temps un indiscutable hommage pour une vie triomphale à tous points de vue.
Je crois fermement à l’immortalité de l’Esprit. Et à cause de cette profonde croyance en l’immortalité de l’Esprit de l’homme, créature du Tout-puissant à son image, je considère que rien ne peut atteindre l’Esprit humain…

Bien évidemment, quand j’écris le mot « Esprit » avec un grand E, je pense à ces êtres au grand cœur capables de changer sur terre la vie de millions et peut être de milliards de personnes ; Aznavour en fait partie sans aucun doute; il les personnifie.

Je ressens encore aujourd’hui la mélancolie profonde que malgré son tempérament jovial, mon père éprouvait, quand j’étais âgé de onze ou douze ans, au Liban. Il est vrai qu’à cette époque, il rencontrait pas mal de difficultés.

J’ai compris plus tard que son activité de création et de fabrication de chaussures était déficitaire, à cause d’une grave crise économique que le Liban et le Moyen-Orient traversaient, et que ma mère, pour nous élever, s’employait à des travaux de tailleur et de couture.

C’est alors que j’ai fait « la découverte » d’Aznavour sur les premiers postes de radio à transistors, à chaque fois qu’on pouvait y entendre sa voix très émouvante, dans notre quartier de Nor Sis, Bourj Hammoud.

Le nom de notre quartier était inspiré de celui de la capitale de la Cilicie arménienne occupée par la Turquie et Bourj Hammoud était devenue une municipalité libanaise arménienne par la décision du gouvernement libanais en hommage au travail des Arméniens libanais ayant transformé ces terres nues en une métropole, modeste mais bien tenue.

Partout où je me trouvais, et pas seulement à Bourj Hammoud, j’étais très impatient d’entendre Aznavour sur les ondes.

Et naturellement, tout au long de ces années de galère financière pour mon père, j’ai peu à peu découvert que beaucoup, survivants du Génocide des Arméniens de la première génération comme mes grands-parents ou survivants de la deuxième génération comme mes parents, trainaient un triple boulet: 1) difficultés économiques, 2) privation de leur patrie et déportation par la force par la Turquie, 3) dépossession massive de tous leurs biens – comme plusieurs millions d’Arméniens, notre famille avait perdu beaucoup d’êtres chers et de leurs biens en Arménie, quelques décennies auparavant.

J’ai également appris plus tard à l’école l’histoire du Liban et j’ai appris que nos compatriotes Libanais avaient eu leur part de souffrances et d’atrocités dont la Turquie ottomane était responsable, comme la famine imposée de 1916, les pendaisons de masse et les massacres de Libanais chrétiens ou musulmans.

Et de plus en plus informé de l’étendue de cette calamité nationale ayant atteint à la fois les Arméniens et les Libanais dans leur ensemble, me sentant solidaire de toutes les victimes indépendamment de leur religion ou nationalité, ma propre douleur commença à me submerger. C’est alors que conquis, avide spirituellement, je me suis joint aux innombrables « accros » aux chansons d’Aznavour, pleines de sentiments mais aussi d’espoir. Aznavour nous a aidés, nous ses fans, à supporter ce monde insupportable.

Les années suivantes, au cours des vacances d’été, tout juste âgé de dix-sept ans, j’avais commencé comme vendeur chez Bolmard Menswear Company au centre de Beyrouth. Agé de vingt ans, du fait de sa disponibilité et parce qu’il présentait très bien, mon grand frère Vatché avait gagné le respect et la confiance du propriétaire Mardiros Bolian qui avait nommé Vatché à la fonction de Directeur général.

Afin d’aller au travail depuis Bourj Hammoud à la rue Weygand dans le quartier des affaires de Beyrouth, je devais sauter dans un taxi ou prendre le bus et la voix d’Aznavour m’accompagnait partout.

A peu près toutes ses chansons sonnent encore dans ma tête. « Hier encore, j’avais vingt ans ». Encore aujourd’hui, ses chansons résonnent dans ma tête et ces années défilent encore dans mes pensées comme un film apaisant.

Merci, Monsieur Charles.

Que ta route dans l’éternité soit pour toujours dans la lumière.

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